Depuis la fin du 19ème siècle, en Padanie, au nord de l’Italie, le travail délicat de désherbage et de repiquage du riz est confié principalement à des femmes, les mondine émondeuses. De fin avril à début juin, convergent donc chaque année, de toute l’Italie, une dizaine de milliers de femmes, parmi les plus pauvres, dans cette riche plaine du Pô. Dos courbés, mains coupées par le riz en herbe, mordues par les moustiques, tannées de soleil, de l’eau et de la boue jusqu’aux genoux, penchées en avant devant le contremaître et son bâton… ces travailleuses chantent, à plusieurs voix, pour s’encourager, pendant les longues heures parfois douze par jour! de ce dur labeur. Elles ne parlent pas la même langue, mais leur condition misérable les unit et cette grande solidarité va leur donner la force de s’opposer à leurs employeurs, leurs exploiteurs, gli sfrutttatori ! Voici une panoplie de leurs chants collectifs et revendicatifs, chantée par Le Mondine de Bentivoglio Parmi ces chants, il y a le formidable Sciur padrun da li beli braghi bianchi Monsieur le patron aux beaux pantalons blancs, dans une langue inventée par les mondine. Cette langue, véritable sabir original, reflète la riche tradition d’oralité de notre classe sociale. L’Italie n’était unifiée par la contrainte que depuis 1861. Les gens parlaient donc des langues différentes, même si apparentées. La différence entre une langue et un dialecte ? La langue a une armée, elle ! Sciur padrun parle de façon narquoise de sabotage… et d’amour. Il faut savoir que ces travailleuses saisonnières avaient des aventures amoureuses durant leur séjour dans le nord et puis s’en retournaient dans leur foyer ensuite… laissant derrière elles leurs souvenirs… ce qui se passe aux rizières, restant aux rizières ! En témoigne cette curieuse chanson, Addio morettin ti lascio. Le film sympa Riz amer 1949 effleure quelque peu la question. On pourra lire plus bas le texte en sabir et en français de Sciur padrun. D’autres chansons, toujours anonymes, expriment la douleur des mondine et leur destin tragique, par exemple O mondina del cuore dolente Oh émondeuse au cœur lourd/Tu es venue de ton village lointain/Pour donner un morceau de pain/A tes enfants laissés là -bas/Avec les jambes immergées dans la boue/Et les mains gonflées d’eau/Si fatiguées que nous croyons mourir/Mais c’est pour ramener de la joie. » Ecoutons celle-ci, Amore mio non piangere, chantée par Giovanna Daffini Dès la fin du 19ème siècle, ces mondine se joignent à un fort mouvement de grève, de résistance, de lutte et se regroupent dans des associations, des ligues. Une chanson célèbre décrit cette aventure, La Lega La Ligue, qui exprime la volonté de se liguer, se renforcer, pour contrer l’exploitation. Elle est anonyme, elle aussi, et est chantée ici par le groupe Canzoniere delle Lame Selon les versions, il est question, dans le refrain, de socialisti » ou de lavoratori » travailleurs, mais jamais de socialiste » ou de lavoratore » féminin pluriel en italien ce qui indique que la chanson ne fait pas de séparation entre hommes et femmes en lutte. La Lega n’hésite pas à évoquer la violence ouvrière supprimer les jaunes ! » Dans le film 1900 de Bertolucci 1976, les femmes se mettent devant les hommes et chantent La Lega… paura non l’abbiamo. » Magnifique ! On lira plus bas les paroles de La Lega. Une autre chanson de ce répertoire des mondine est Son la mondina, son la sfruttata Je suis la mondina, je suis l’exploitée, écrite vers 1950 par Pietro Besate. Elle est chantée ici par le Corre delle Mondine di Correggio Je suis l’émondeuse/Je suis l’exploitée/Je suis la prolétaire qui jamais ne trembla/Et nous lutterons pour le travail/Pour la paix, le pain et la liberté/Et nous créerons un nouveau monde/De justice et une nouvelle civilisation. » La lutte, avec son inévitable corollaire répressif, est décrite dans une chanson de 1948, E’ partita la celere… ainsi que dans cette terrible La bessa, chantée ici par le Corre delle Mondine di Correggio Contrairement au défaitisme ambiant, la lutte paie… et les patrons sont contraints d’abaisser, en 1905, la journée de travail de douze à huit heures ! C’est donc dans ce contexte politique de luttes sociales, fin du 19ème/début du 20ème, qu’a été écrite, anonymement comme la plupart des chansons des mondine, Bella ciao. Un article sur la question, dans le Blog du doigt dans l’œil parle de plusieurs personnes chantant cette chanson au début du vingtième siècle. Même wikipedia y fait référence ! Alors la question se pose pourquoi l’immense majorité des gens ne connaissent pas la chanson originale ? Mais parce que l’immense majorité des gens sont soumis au matraquage idéologique de l’Etat qui lutte ardemment contre notre mémoire sociale. Plutôt insister sur le calcio que sur les luttes des mondine ! Plutôt Cristiano Ronaldo que ces travailleuses sales et arrogantes, jamais contentes de leur condition ! Plutôt promotionner la version parteggiano » partisan, sur le terrain nationaliste, que de se souvenir d’une critique active contre l’exploitation, plutôt lutte nationale que sociale ! Il y a donc, en résumé, deux chansons qui portent le même titre, l’une issue de nos luttes sociales contre l’exploitation, qui appartient à la révolution, l’autre qui vante le nationalisme et appartient à la contre-révolution. La responsabilité de cet état de fait va en grande partie au stalinisme, grand spécialiste du bidouillage, de la supercherie, de la calomnie, de la censure, de la réécriture, etc., mais pas uniquement. Tout l’Etat du capital a intérêt à effacer-salir notre mémoire de lutte. Le succès de la version nationaliste partisane » de Bella ciao collera à celui de sa sœur contre-révolutionnaire El pueblo unido jamas sera vencido, que nous avons analysée dans la rubrique Pamphlets. La social-démocratie développe la culture comme arme de distraction massive, quitte à piller notre héritage de lutte. Quant à l’air de la chanson, il n’est pas impossible que Bella ciao ait voyagé jusqu’en Russie, en cette année 1905 de bouleversement social… mais il ne nous est pas possible de trancher, malgré les apports intéressants trouvés sur wikipedia. Ecoutons donc la version originale de Bella ciao, chantée ici par Milva Paroles Version originale Sciur padrun da li béli braghi bianchi fora li palanchi fora li palanchi sciur padrun da li béli braghi bianchi fora li palanchi ch’anduma a cà A scüsa sciur padrun sa l’èm fat tribülèr i era li prèmi volti i era li prèmi volti a scüsa sciur padrun sa l’èm fat tribülèr i era li prèmi volti ca n saiévum cuma fèr Sciur padrun da li béli braghi bianchi fora li palanchi fora li palanchi sciur padrun da li béli braghi bianchi fora li palanchi ch’anduma a cà Prèma al rancaun e po’ dopu a l sciancà un e adés ca l’èm tot via e adés ca l’èm tot via prèma al rancaun e po’ dopu a l sciancà un e adés ca l’èm tot via al salutém e po’ andèm via Sciur padrun da li béli braghi bianchi fora li palanchi fora li palanchi sciur padrun da li béli braghi bianchi fora li palanchi ch’anduma a cà Al nostar sciur padrun l’è bon come l bon pan da stér insëma a l’érsën da stér insëma a l’érsën al noster sciur padrun l’è bon com’è l bon pan da stér insëma a l’érsën al dis – Fé andèr cal man – Sciur padrun da li béli braghi bianchi fora li palanchi fora li palanchi sciur padrun da li béli braghi bianchi fora li palanchi ch’anduma a cà E non va più a mesi e nemmeno a settimane la va a pochi giorni la va a pochi giorni e non va più a mesi e nemmeno a settimane la va a pochi giorni e poi dopo andiamo a cà Sciur padrun da li béli braghi bianchi fora li palanchi fora li palanchi sciur padrun da li béli braghi bianchi fora li palanchi ch’anduma a cà E non va più a mesi e nemmeno a settimane la va a poche ore la va a poche ore e non va più a mesi e nemmeno a settimane la va a poche ore e poi dopo andiamo a cà Sciur padrun da li béli braghi bianchi fora li palanchi fora li palanchi sciur padrun da li béli braghi bianchi fora li palanchi ch’anduma a cà Incö l’è l’ultim giürën e adman l’è la partenza farem la riverenza farem la riverenza incö l’è l’ultim giürën e adman l’è la partenza farem la riverenza al noster sciur padrun Sciur padrun da li béli braghi bianchi fora li palanchi fora li palanchi sciur padrun da li béli braghi bianchi fora li palanchi ch’anduma a cà E quando al treno a scëffla i mundèin a la stassion con la cassiétta in spala con la cassiétta in spala e quando al treno a scëffla i mundèin a la stassion con la cassiétta in spala su e giù per i vagon Sciur padrun da li béli braghi bianchi fora li palanchi fora li palanchi sciur padrun da li béli braghi bianchi fora li palanchi ch’anduma a cà Quando saremo a casa dai nostri fidanzati ci daremo tanti baci ci daremo tanti baci quando saremo a casa dai nostri fidanzati ci daremo tanti baci tanti baci in quantità Sciur padrun da li béli braghi bianchi fora li palanchi fora li palanchi sciur padrun da li béli braghi bianchi fora li palanchi ch’anduma a cà Traduction littérale Monsieur le patron aux beaux pantalons blancs Sors tes sous, sors tes sous Monsieur le patron aux beaux pantalons blancs Sors tes sous pour qu’on rentre à la maison Excuse-nous monsieur le patron Si on t’a donné du fil à retordre C’étaient les premières fois C’étaient les premières fois Excuse-nous monsieur le patron Si on t’a donné du fil à retordre C’étaient les premières fois On ne savait pas comment faire Monsieur le patron aux beaux pantalons blancs Sors tes sous, sors tes sous Monsieur le patron aux beaux pantalons blancs Sors tes sous pour qu’on rentre à la maison D’abord on l’a déraciné Après on l’a coupé Et maintenant qu’on l’a tout enlevé Et maintenant qu’on l’a tout enlevé D’abord on l’a déraciné Après on l’a coupé Et maintenant qu’on l’a tout enlevé On te salue et on s’en va Monsieur le patron aux beaux pantalons blancs Sors tes sous, sors tes sous Monsieur le patron aux beaux pantalons blancs Sors tes sous pour qu’on rentre à la maison Monsieur notre patron Il est bon comme le bon pain De rester avec nous sur la berge De rester avec nous sur la berge Monsieur notre patron Il est bon comme le bon pain De rester avec nous sur la berge À nous dire faites aller ces mains Monsieur le patron aux beaux pantalons blancs Sors tes sous, sors tes sous Monsieur le patron aux beaux pantalons blancs Sors tes sous pour qu’on rentre à la maison Il ne reste pas un mois Ni même une semaine Il ne reste que quelques jours Il ne reste que quelques jours Il ne reste pas un mois Ni même une semaine Il ne reste que quelques jours Et puis on rentre à la maison Monsieur le patron aux beaux pantalons blancs Sors tes sous, sors tes sous Monsieur le patron aux beaux pantalons blancs Sors tes sous pour qu’on rentre à la maison Il ne reste pas un mois Ni même une semaine Il ne reste que quelques heures Il ne reste que quelques heures Il ne reste pas un mois Ni même une semaine Il ne reste que quelques heures Et puis on rentre à la maison Monsieur le patron aux beaux pantalons blancs Sors tes sous, sors tes sous Monsieur le patron aux beaux pantalons blancs Sors tes sous pour qu’on rentre à la maison Aujourd’hui c’est le dernier jour Et demain c’est le départ On tirera la révérence On tirera la révérence Aujourd’hui c’est le dernier jour Et demain c’est le départ On tirera la révérence À monsieur notre patron Monsieur le patron aux beaux pantalons blancs Sors tes sous, sors tes sous Monsieur le patron aux beaux pantalons blancs Sors tes sous pour qu’on rentre à la maison Et quand le train sifflera Les mondine à la gare Avec la valise sur l’épaule Avec la valise sur l’épaule Et quand le train sifflera Les mondine à la gare Avec la valise sur l’épaule Hop et hop sur les wagons Monsieur le patron aux beaux pantalons blancs Sors tes sous, sors tes sous Monsieur le patron aux beaux pantalons blancs Sors tes sous pour qu’on rentre à la maison Quand on sera à la maison Avec nos fiancés On se fera plein de baisers On se fera plein de baisers Quand on sera à la maison Avec nos fiancés On se fera plein de baisers Plein de baisers en quantité Monsieur le patron aux beaux pantalons blancs Sors tes sous, sors tes sous Monsieur le patron aux beaux pantalons blancs Sors tes sous pour qu’on rentre à la maison La Lega – La Ligue Sebben che siamo donne paura non abbiamo per amor dei nostri figli per amor dei nostri figli sebben che siamo donne paura non abbiamo per amor dei nostri figli in lega ci mettiamoA oilì oilì oilà e la lega la crescerà e noialtri lavoratori e noialtri socialisti a oilì oilì oilà e la lega la crescerà e noialtri socialisti vogliamo la libertà E la libertà non viene perché non c’è l’unione crumiri col padrone crumiri col padrone e la libertà non viene perché non c’è l’unione crumiri col padrone son tutti da ammazzarA oilì oilì oilà e la lega la crescerà e noialtri socialisti e noialtri socialisti a oilì oilì oilà e la lega la crescerà e noialtri socialisti vogliamo la libertà Sebben che siamo donne paura non abbiamo abbiamo delle belle buone lingue abbiamo delle belle buone lingue sebben che siamo donne paura non abbiamo abbiamo delle belle buone lingue e ben ci difendiamoA oilì oilì oilà e la lega la crescerà e noialtri socialisti e noialtri socialisti a oilì oilì oilà e la lega la crescerà e noialtri socialisti vogliamo la libertà E voialtri signoroni che ci avete tanto orgoglio abbassate la superbia abbassate la superbia e voialtri signoroni che ci avete tanto orgoglio abbassate la superbia e aprite il portafoglioA oilì oilì oilà e la lega la crescerà e noialtri lavoratori e noialtri lavoratori a oilì oilì oilà e la lega la crescerà e noialtri lavoratori i vuruma vèss pagà Bien que nous soyons des femmes Nous n’avons pas peur Pour l’amour de nos enfants Pour l’amour de nos enfants Bien que nous soyons des femmes Nous n’avons pas peur Pour l’amour de nos enfants En ligue nous nous mettonsA oilì oilì oilà Et la ligue grandira Et nous autres travailleurs Et nous autres socialistes A oilì oilì oilà Et la ligue grandira Et nous autres socialistes Nous voulons la libertéEt la liberté n’arrive pas Parce qu’il n’y a pas d’union Les jaunes avec le patron Les jaunes avec le patron Et la liberté n’arrive pas Parce qu’il n’y a pas d’union Les jaunes avec le patron Sont tous à supprimerA oilì oilì oilà Et la ligue grandira Et nous autres socialistes Et nous autres socialistes A oilì oilì oilà Et la ligue grandira Et nous autres socialistes Nous voulons la libertéBien que nous soyons des femmes Nous n’avons pas peur Nous avons de belles et bonnes langues Nous avons de belles et bonnes langues Bien que nous soyons des femmes Nous n’avons pas peur Nous avons de belles et bonnes langues Et nous nous défendons bienA oilì oilì oilà Et la ligue grandira Et nous autres socialistes Et nous autres socialistes A oilì oilì oilà Et la ligue grandira Et nous autres socialistes Nous voulons la libertéEt vous autres beaux messieurs Qui avez tant d’orgueil Rabaissez votre superbe Rabaissez votre superbe Et vous autres beaux messieurs Qui avez tant d’orgueil Rabaissez votre superbe Et ouvrez votre portefeuilleA oilì oilì oilà Et la ligue grandira Et nous autres travailleurs Et nous autres travailleurs A oilì oilì oilà Et la ligue grandira Et nous autres travailleurs Nous voulons être payés La bessa Avan ciape’onna bessa a l’avan magneda aiir. Ain megnaren onn’etra Cunze’cun i crumir. Crumiri schifosi, la vostra lega l’e’onna lega da ninein. Crumiri schifosi, la vostra lega L’e’onna lega da ninein. Caporale non ci sgridare E alle crumire devi badar, devi badar. Caporale non ci sgridare E alle crumire devi badar. La Maria l’e’onna ruffiena In risaia non la vogliam, non la vogliam. La Maria l’e’onna ruffiena In risaia non la vogliam. Siamo donne, non siamo bestie, Vogliam essere rispetta’, E rispetta’. Siamo donne, non siamo bestie, Vogliam essere rispetta’, La couleuvre Nous avons attrapé une couleuvre hier, La prochaine fois on la mangera avec les jaunes, Briseurs de grève, votre syndicat est un syndicat de cochons. Contremaîtres, vous feriez mieux de faire taire ces gens-là , Quant à la Marie, c’est une poucave, [i] Nous ne voulons plus d’elle dans la rizière, Nous sommes des femmes, pas des bêtes, Nous voulons du respect. [i] Délatrice. Bella ciao. Questa mattina mi sono alzata bella ciao, bella ciao, bella ciao, ciao ciao sta mattina appena alzata in risaia mi tocca andar E tra gli insetti e le zanzare bella ciao… e tra gli insetti e le zanzare un dur lavoro mi tocca far mamma mia o che tormento o bella ciao… o mamma mia o che tormento io mi sento da morir Il capo in piedi col suo bastone bella ciao… il capo in piedi col suo bastone e noi curve a lavorar Ma verrà un giorno che tutte quante bella ciao… ma verrà un giorno che tutte quante lavoreremo in libertà ! Ce matin, je me suis levée Bella ciao… Ce matin, à peine levée J’ai du me rendre à la rizière Bella ciao… A travers insectes et moustiques Bella ciao… J’ai du faire un dur travail Mamma mia quel tourment Bella ciao… J’ai cru mourir Le capo debout avec son bâton Bella ciao… Et nous autres courbées à travailler Mais un jour viendra où nous travaillerons toutes en liberté !
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